Les institutions judiciaires chinoises : cours et parquets

| | Publié le:2012-08-24

Démantelé sous la Révolution culturelle (1966-1976), l’appareil judiciaire chinois connaît depuis 1978 une évolution importante qui continue aujourd’hui. La situation décrite dans cet article en reflète l’état actuel.

1. Organisation générale

Les cours et parquets chinois sont responsables devant l’Assemblée nationale populaire et les assemblées provinciales ou locales. Ils ne relèvent pas du Ministère de la Justice qui est, pour l’essentiel, en charge de la gestion des prisons et des centres de rééducation par le travail, de l’aide juridictionnelle ainsi que de la supervision des professions d’avocats et de notaires.

Nomination et rémunération des juges et procureurs

La nomination et la rémunération des juges et des procureurs dépendent de l’Assemblée Nationale Populaire pour la Cour Suprême et le Parquet Suprême, des assemblées populaires locales pour les tribunaux et parquets locaux.

Ces liens organiques entre autorités politiques et judiciaires, sources de difficultés, sont de plus en plus remis en question et la Cour Populaire Suprême a récemment publié une « interprétation » permettant le transfert d’affaires d’une cour à une autre afin de les soustraire, si nécessaire, aux influences et interventions institutionnelles locales.

Depuis 2002, un concours commun aux professions de juge, procureur, avocat et notaire permet d’établir la liste des personnes habilitées à exercer des fonctions « judiciaires ». L’instauration de ce concours constitue une avancée majeure dans l’amélioration du niveau de qualification des magistrats [1] qui constitue encore un des points faibles du système judiciaire chinois.

Les salaires des juges comme ceux des procureurs sont déterminés par la grille de salaire de la fonction publique chinoise. Le salaire de base des magistrats de même rang est donc le même dans toute la Chine. Les rémunérations sont cependant ajustées en fonction du niveau de vie local. Il peut donc exister des différences de revenu significatives d’une province à une autre [2].

La faiblesse du salaire des magistrats [3] est souvent dénoncée comme étant un facteur de corruption et de faible compétence, les meilleurs juristes préférant s’orienter vers des professions plus lucratives libérales ou commerciales. Les augmentations de salaires décidées ces dernières années pour les juges et procureurs doivent apporter de sérieuses corrections aux rémunérations citées en notes.

2. Le fonctionnement des tribunaux populaires

Le système des tribunaux populaires est composé de la Cour Populaire Suprême, des tribunaux populaires locaux et des tribunaux populaires spéciaux. Chaque tribunal est dirigé par un président assisté d’un vice président et organisé en chambres pénales, civiles, économiques et administratives, chacune également dirigée par un président et un vice-président.

Hiérarchie des cours

Les tribunaux populaires locaux sont organisés pour une circonscription territoriale spécifique et s’occupent de l’ensemble des contentieux (civil, commercial, administratif et pénal).

Ils comportent trois degrés qui correspondent à des niveaux administratifs différents : tribunaux populaires de base (au niveau du comté ou du district), tribunaux populaires intermédiaires (au niveau de la préfecture) et tribunaux populaires supérieurs (au niveau de la province).

Les décisions rendues peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la juridiction immédiatement supérieure.

La Chine compte aujourd’hui 3 558 tribunaux populaires de toutes catégories [4] et près de 200 000 juges.

Compétences

Les tribunaux populaires de base jugent en première instance les affaires civiles ordinaires et les affaires pénales mineures, guident le travail des comités populaires de médiation, sensibilisent l’opinion publique à la législation, répondent aux plaintes de citoyens et les reçoivent le cas échéant [5].

Ils peuvent se déclarer incompétents et transmettre les affaires dont ils sont saisis aux tribunaux des échelons supérieurs.

L’affaire parviendra alors au tribunal intermédiaire qui peut en outre être saisi en première instance pour les affaires plus graves susceptibles d’entraîner les peines les plus lourdes (emprisonnement à perpétuité et peine capitale), ayant trait à la sécurité nationale ou bien encore impliquant des étrangers. Les tribunaux intermédiaires peuvent se déclarer incompétents et transmettre les affaires de droit pénal, civil et administratif dont ils sont saisis aux tribunaux supérieurs.

Ceux-ci jugent en première instance les affaires de droit pénal, civil et administratif « importantes ou complexes » qui relèvent de leur juridiction. Les critères d’importance et de complexité ne font pas l’objet d’une définition rigoureuse.

Les tribunaux populaires spéciaux

Les tribunaux populaires spéciaux regroupent les tribunaux militaires, les tribunaux maritimes et les tribunaux ferroviaires. Il existe également des chambres spécialisées, qui traitent des litiges forestiers, agricoles et pétroliers.

Il est à noter que le président d’un tribunal militaire n’est pas élu par l’Assemblée nationale populaire mais nommé conjointement par la Cour Populaire Suprême et par la Commission militaire centrale.

Les Comités de jugement

Spécificité chinoise, les comités de jugement existent dans toutes les cours populaires, à tous les échelons, y compris au sein de la Cour Populaire Suprême. Ils ont pour fonction de fixer la jurisprudence et de traiter les affaires « importantes ou complexes ».

Les comités de jugement sont composés de magistrats expérimentés : les président et vice-présidents du tribunal, les présidents de chambre et d’autres membres éminents du PCC au sein du tribunal.

Ces magistrats sont nommés et destitués par le Comité permanent de l’Assemblée populaire de l’échelon correspondant, sur la recommandation du président du tribunal qui préside toutes les audiences du comité de jugement. Le procureur du parquet populaire de l’échelon correspondant peut assister aux audiences, sans droit de vote.

L’existence de ces comités est critiquée par les observateurs étrangers et débattue depuis plusieurs années par les juristes chinois. Alors que ses défenseurs insistent sur l’intérêt qu’il y a à profiter de l’expérience des membres des comités de jugement à la fois pour améliorer la qualité des jugements rendus et pour résister aux éventuelles pressions et tentatives de corruption, ses dénonciateurs mettent en avant le fait qu’avec l’intervention de ces comités, ceux qui jugent in fine l’affaire ne sont pas ceux qui l’ont entendue, n’incitant en outre pas les juges à accorder beaucoup d’attention aux arguments exposés au cours du procès. Ils soulignent également que ce système porte atteinte au renforcement de l’autorité des juges et à la transparence des procédures.

En réponse à certaines de ces critiques, la Cour Populaire Suprême a inscrit dans son dernier programme de réformes en date la possibilité pour les comités de jugement de juger directement les affaires nécessitant leur intervention ainsi que la spécialisation de ces comités en fonction de la nature civile, pénale ou administrative des affaires.

La supervision d’affaires individuelles [6]

Autre spécificité chinoise, la supervision d’affaires individuelles permet de réexaminer, de rejuger et éventuellement d’annuler une décision de justice définitive et exécutoire. Elle peut être initiée par une des parties au procès en s’adressant à la cour, par le parquet dans le cadre de son pouvoir de supervision, par le président de la cour ou par une cour d’un niveau supérieur et par les Assemblées populaires locales en matière pénale, civile ou administrative [7]. Elle ne se confond pas avec la procédure d’appel.

Là encore, le débat sur l’opportunité de ce système oppose ceux qui voient en lui le moyen de remédier au manque de professionnalisme des juges et de corriger les injustices résultant de jugements erronés à ceux qui y voient une négation de l’autorité de la chose jugée et une possibilité pour les autorités politiques de faire procéder à l’annulation des décisions de justice qui leur sont défavorables.

Les affaires faisant l’objet de ce type de supervision restent cependant très minoritaires (environ 2% de toutes les affaires jugées par les cours) et celles qui voient leur verdict modifié sont encore plus rares (entre 0,3 et 0,4%).

3. La Cour Populaire Suprême

La Cour Populaire Suprême est la plus haute autorité judiciaire de Chine à l’exception de Hong Kong et de Macao qui ont des organisations judiciaires indépendantes.

Elle siège à Pékin, et exerce le pouvoir juridictionnel suprême de l’Etat, tout en exerçant un pouvoir de contrôle sur l’activité des tribunaux populaires locaux et des tribunaux populaires spéciaux. La Cour Populaire Suprême dispose du pouvoir de révision. Les jugements qu’elle rend, qu’ils soient de première ou de seconde instance, ne peuvent pas faire l’objet de recours.

Organisation

La Cour Populaire Suprême est composée de chambres spécialisées à compétences criminelle, civile, administrative et commerciale, ainsi que de plusieurs bureaux spécialisés. Elle compte un président nommé pour 5 ans, 44 « grands juges » et environ 200 juges ou juges assistants.

Compétences

Aux termes des dispositions des lois de procédure pénale, de procédure civile (litiges économiques) et de procédure administrative, les affaires de première instance placées sous la juridiction de la Cour Populaire Suprême sont les affaires d’importance capitale et complexe, à portée nationale. Elle peut en outre s’autosaisir d’affaires qu’elle juge relever de ses attributions.

La Cour Populaire Suprême examine et ratifie les condamnations à la peine de mort [8]. Elle procède également à des « interprétations judiciaires » sur l’application des lois et publie des règlements qui s’imposent à l’ensemble des tribunaux.

4. Le fonctionnement du Parquet Populaire Suprême et des parquets populaires

La structure des parquets populaires est symétrique de celle des tribunaux populaires. Ils se structurent donc en Parquet Populaire Suprême, parquets populaires locaux aux différents échelons administratifs et parquets populaires spéciaux. Ils comprennent également un « comité de parquet » qui correspond au comité de jugement des tribunaux populaires.

On compte en Chine 75 000 procureurs répartis dans 3648 parquets. De même que les cours sont soumises à l’autorité de la Cour Suprême, les parquets sont soumis à l’autorité du Parquet Suprême, pas à celle du Ministère de la Justice.

Compétences

Les parquets sont les organes de contrôle judiciaire de l’Etat. Ils engagent ou soutiennent l’action publique dans les affaires pénales, décident s’il faut procéder ou non à l’arrestation [9], contrôlent le respect de la loi par les organes de sécurité publique et par les tribunaux populaires dans l’exercice de leurs fonctions tant en matière pénale qu’en matières administrative ou civile. Les parquets sont également chargés de veiller au respect de la légalité dans l’activité des prisons, des centres de détention et des établissements de rééducation par le travail.

Le Parquet Suprême a pour tâche principale de diriger et contrôler le travail des parquets populaires locaux.

Le Parquet Suprême conduit également l’action publique pour les affaires les plus importantes ou de portée nationale ou mettant en cause des fonctionnaires. Il dispose enfin d’un pouvoir normatif d’interprétation et de publication de règlements concernant la pratique des parquets.

La relation des parquets avec les cours

Les parquets disposent en Chine de pouvoirs de supervision étendus sur les jugements rendus par les tribunaux [10]. Ainsi, même si les parquets et les tribunaux jouissent en théorie d’un statut équivalent, les premiers, du fait également de leur rôle de supervision de l’instruction et de la nature inquisitoire de la procédure chinoise, sont en réalité en position de force par rapport aux seconds.

L’équilibre véritable des pouvoirs entre la police, le parquet et les cours est curieusement illustré par l’expression chinoise : « la police cuit le riz, le parquet l’amène sur la table et le tribunal le mange » [11].

5. Une réforme en cours

Les cours et parquets chinois sont engagés dans une réforme qui les pousse à plus de professionnalisme, à de meilleures conditions matérielles de travail et, quoi qu’il s’agisse là d’un point moins évident, à plus d’indépendance par rapport aux autorités politiques et administratives.

L’enjeu de cette réforme est important pour les autorités comme pour les citoyens chinois : d’elle dépend en partie le maintien de la stabilité sociale et du développement économique du pays ainsi que le développement de l’accès à la justice. Cette importance croissante attribuée aux institutions judiciaires ne joue cependant pas uniquement en faveur du renforcement de l’autorité des magistrats qui se retrouvent soumis à une forte pression publique, médiatique et politique. Il s’agit là d’une contrainte à prendre en compte dans la compréhension de l’évolution du travail judiciaire chinois.

 

Notes :

[1]Aux concours de 2006 et 2007, le nombre d’inscrits était respectivement de 280 560 et 294 000 et le taux d’admission de 14,4% et 22,39%. Source : www.gov.cn

[2]Selon les chiffres de Mei Ying Gechlik (Judicial reform in China : lessons from Shanghai , Columbia Journal of Asian Law, 2005), en 2004, à l’exception de Shanghaï, où le salaire annuel d’un juge après quelques années d’expérience était compris entre 70.000 Renminbi et 110.000 RMB (7000 à 11000 euros), le salaire moyen des juges chinois s’élevait, tout au plus, à 20.000 RMB (2000 euros) par an.

[3]Celui-ci, même s’il s’accompagne comme pour tous les fonctionnaires de prestations sociales avantageuses, n’est guère plus élevé que le salaire moyen chinois qui est d’environ 15 000 RMB par an et qui inclut les faibles revenus des populations rurales.

[4]3120 tribunaux de base, 406 tribunaux intermédiaires et 32 tribunaux supérieurs.

[5]Pour plus d’informations sur cette dernière activité des tribunaux, voir la rubrique "Le Droit chinois et nous" du second numéro de "La Chine et le Droit", au chapitre des « ‘Lettres et visites’ ».

[6]个案监督, gean jiandu en chinois, Individual Cases Supervision, ICS en anglais.

[7]Quand la supervision est initiée par une partie au procès, elle ne suspend pas le caractère exécutoire du jugement, au contraire des supervisions initiées par le parquet ou l’assemblée populaire. Tous les jugements, quel que soit l’initiateur de la supervision, peuvent cependant être se voir finalement annulés, la seule exception étant en matière civile les jugements de divorce.

[8]En 2007, la Cour Populaire Suprême a ainsi refusé d’approuver 15% des condamnations à la peine capitale qui lui ont été soumises.

[9]Différente de la mise en garde à vue qui relève exclusivement des organes de sécurité publique.

[10]Voir dans le présent article le chapitre sur la supervision d’affaires individuelles.

[11]Mme Xin ChunYing, Chinese Courts History and Transition, 法律出版社, 2004.

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